Édouard TREPPOZ est Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon III. Il est membre de l’Équipe de droit international, européen et comparé (EDIEC), mais aussi responsable pédagogique du Master 2 droit du cinéma et de l’audiovisuel, ainsi que Directeur du Centre Paul Roubier et du LLM international european business school qui accueille des étudiants internationaux pour une année de formation à Lyon. Il est également conseil chez Bird&Bird.
Il a accepté de nous rencontrer à l’issue d’un cours de DIP, et d’être ainsi notre tout premier interviewé.
Vous êtes à la fois universitaire et conseil en cabinet : pourquoi deux occupations plutôt qu’une ?
Jusqu’à il y a 1 an j’étais exclusivement universitaire tout en ayant une activité pratique de consultation et de conseil, mais sans être en lien avec une structure de manière contractuelle et régulière, donc j’ai toujours depuis une quinzaine d’années eu ce rôle là. C’était des consultations simples de professeur.
Puis, après une année passée à New York pendant laquelle j’ai enseigné, j’ai voulu être en lien avec la pratique car je considère que la spécificité du corps professoral français, de la doctrine française est d’être en capacité de prendre de la hauteur avec une très bonne maitrise technique. Le meilleur exemple en propriété intellectuelle est celui de Jacques AZEMA qui lie compréhension pratique et hauteur doctrinale. C’est un modèle exigeant à suivre.
Quels sont les inconvénients à avoir ces différentes casquettes ?
De mon point de vue, tous les modèles sont bons, celui que j’ai choisi et que l’on m’a permis d’exercer dans le cabinet où je suis me paraît pertinent. J’y suis un jour par semaine et je reste principalement universitaire : je n’ai pas diminué ma charge et mon implication à l’université.
On a aussi des marges de souplesse avec les week-ends et soirées donc cela me paraît être un équilibre qui est bon. Le choix que j’ai fait est de ne pas être en lien direct avec le client, ce qui me permet de conserver totalement mon activité universitaire. Pour le moment, je n’ai pas envie d’être en lien avec le client. Cela me semble chronophage et, en raison de mes cours et de mes publications, je suis sur des temps longs où j’aime bloquer une après-midi pour écrire.
Selon vous, quelles sont les qualités essentielles à l’exercice de votre profession ?
Pour moi la rigueur et l’originalité, il faut être extrêmement rigoureux en droit, mais aussi très original pour voir les failles dans un dossier. L’originalité permet d’intégrer un élément auquel personne n’aurait pensé, mais qui peut changer toute la phase du contentieux.
Pensez-vous que ces sont des qualités qui s’apprennent à l’université ?
La rigueur, je pense que l’on vous y forme, du moins j’espère (rires). Pour ce qui est de la créativité… pas assez, et ce pour une raison pratique – et ce sont des propos qui n’engagent que moi – je trouve que les étudiants sont trop nombreux et que donc on n’est pas en capacité de faire le type d’exercice que je fais avec mes Master 2, où l’on peut développer votre capacité à raisonner à l’oral, à argumenter et donc faire preuve d’originalité. Mais je pense que les TD sont bien faits et mes collègues sont très exigeants sur la manière dont ils les construisent, vous offrant ainsi un lieu où vous pouvez être en capacité de développer cette originalité et analyse critique du droit.
Quel métier auriez-vous exercé dans une autre vie ? Est-ce que le droit était une vocation ?
Pas du tout, c’était un choix d’opportunité. En classe de Terminale je n’étais pas un étudiant extrêmement brillant, et toutes les voies qui supposaient d’être brillant m’étaient fermées et donc je m’étais dit que le droit, au fond, tout le monde pouvait y aller et que je pouvais me refaire une forme de virginité. Je n’avais aucune envie d’être universitaire, mais c’est en Maitrise (NDLR : Master 1) qu’un professeur de Droit International Privé, Monsieur Geouffre de La Pradelle, m’a passionné. Cela m’a donné envie de faire une thèse.
Sinon, j’aurais été Avocat Fiscaliste (rires) mais je pense que c’est très amusant la fiscalité et les chiffres ne me faisaient pas peur.
Vous êtes aussi responsable pédagogique du master droit du cinéma et de l’audiovisuel, quel est le dernier film que vous êtes allé voir ? Qu’en avez-vous pensé ?
Santa & Cie (NDLR : film franco-belge écrit et réalisé par Alain Chabat, sorti en 2017) avec mes enfants, c’était rigolo. Cela m’a permis de revoir Alain Chabat que j’aimais bien quand j’avais votre âge et qui était corrosif et qui l’est moins maintenant.
Quels sont les 3 artistes qui vous inspirent le plus ?
Je suis un fan inconditionnel de deux peintres.
Tout d’abord Le Caravage, je suis presque amoureux de lui, dès que je peux, si je suis à Naples, à Syracuse, je vais voir ses toiles. J’ai aussi vécu à Rome ce qui peut être une explication à mon engouement pour ses peintures.
J’ai aussi longtemps eu une admiration pour Rothko quand j’étais plus jeune.
Concernant la littérature, j’aime beaucoup les Romantiques du 19ème siècle, et plus particulièrement Zola.
Pensez-vous qu’une intelligence artificielle puisse devenir une référence dans le domaine de l’art d’ici quelques années ?
Leur reconnaître une personnalité juridique, moi non, mais là je fais une réponse juridique, économique et politique. Je suis contre conférer des droits aux productions faites par des machines, parce que ceux qui pourront faire ces machines, ce sont aussi ceux qui se sont nourris très largement des créations antérieures par le biais d’exceptions grandissantes, et qui vont construire demain la culture. Le risque est que l’on ait une culture totalement privatisée par ces géants de l’internet, et c’est un modèle qui ne me réjouit pas beaucoup. Si je reprends les deux artistes que j’ai cité, pourquoi j’aime Rothko et peut être surtout Le Caravage c’est parce qu’à un moment ils rompent avec ce qui a été fait et cette logique de rupture est humaine à mon sens. Mais je suis peut être un vieux conservateur (rires).
Comment imaginez-vous la PI dans 10 ans ?
Ce sont des débats qui agitent beaucoup. J’ai l’impression qu’un certain nombre de métier du Droit qui vont disparaître sont notamment liés à des contentieux répétitifs et de masse, je pense notamment aux calculs de prestations compensatoires, aux indemnités en termes de licenciements, où un algorithme va pouvoir tout calculer et donner une issue.
En revanche, je crois qu’il y aura toujours une plus-value de conseil. Et je crois qu’il y aura toujours de la place pour le juriste qui est en capacité d’apporter une plus-value puisque la matière est et restera extrêmement compliquée.
Je vais juste vous donner des chiffres, à Lyon III il y a 10 000 étudiants inscrits en droit, et je crois que 10 000 c’est le nombre d’étudiants à l’Université de Columbia, toutes disciplines confondues. Donc si vous me demandez si le marché du droit peut absorber les 10 000 étudiants de Lyon, ma réponse est non.
Je suis favorable à la sélection dans le sens où je pense qu’il vaut mieux sélectionner en amont qu’attendre que le marché ne sélectionne et d’avoir des étudiants déçus d’avoir fait 5 années de droit pour ne pas rencontrer le marché du travail.
Nous sommes en Master 2 et nous apprêtons à rentrer dans le monde de la vie active : si vous aviez un conseil à nous donner, lequel serait-il ?
Faites-vous plaisir. Et faites l’aventure de l’international. Parlez couramment l’anglais et confrontez vous une fois dans votre formation à autre chose, à quelque chose qui vous fasse peur, qui soit différent et en plus vous vous ferez plaisir, car ce type de challenge fait grandir.
Si vous deviez embaucher un stagiaire, quelles seraient les qualités que vous rechercheriez ?
Si je me mets dans la peau d’un associé dans un cabinet, je crois que le stagiaire est celui que l’on va projeter comme la future personne que l’on pourra recruter. Ainsi, le bon stagiaire est celui qui s’est rendu tellement nécessaire qu’on va le recruter comme collaborateur.
Les qualités, pour moi, c’est d’être en capacité d’apprendre encore des choses, en capacité de comprendre exactement ce que l’on demande, faire preuve d’un esprit de synthèse et de bien rédiger. Et forcément, je pense que ce qui sera bien vu, avoir une force de travail importante.
Cela fait une quinzaine d’années que vous enseignez : quelle évolution remarquez-vous concernant les étudiants ?
Je n’en remarque pas trop. Je ne peux pas dire que vous êtes moins bons qu’avant (rires) ou meilleurs. Toutefois, je remarque que dans mon M2, les étudiants sont meilleurs qu’aux débuts, mais cela tient davantage de la notoriété du diplôme.
Qu’attendez-vous des étudiants de votre master, pour celles et ceux qui aimeraient y candidater ?
La différence entre mon Master et celui de Propriété Intellectuelle dans lequel vous êtes inscrits, c’est qu’il n’est pas basé sur une discipline juridique mais sur un secteur professionnel. Aussi, ce que j’attends de mes étudiants, c’est qu’ils soient complètement passionnés par ce secteur et qu’ils aient déjà des éléments de connaissance, qu’ils aient déjà montré, par du bénévolat, par un talent créatif particulier, une réelle implication dans ce secteur là.
Une anecdote / un fait marquant de votre carrière d’enseignement ?
Alors, j’en ai une mais je ne pourrai pas la dire (rires)… Mon premier cours en anglais où je parlais mal. j’avais un mauvais accent, et je devais parler de la doctrine américaine en matière d’originalité, laquelle était favorable à une protection par l’investissement appelée la « sueur du front » qui se dit « sweat of the brow ». Toutefois, j’avais dit ça d’une manière si peu explicite que cela avait glissé en « the sweet of the bra » donc les étudiantes américaines avaient trouvé que ce Professeur français était quelque peu étrange (rires).
Quel est le point de débat qui vous préoccupe en ce moment dans le milieu de la propriété intellectuelle ?
Le BREXIT m’intéresse beaucoup, pour des raisons juridiques, politiques, citoyennes et les implications du BREXIT surtout en matière de propriété intellectuelle.
Je crois que c’est aujourd’hui le sujet le plus intéressant et où l’on voit une domination claire des britanniques dans le « story telling » à savoir la manière d’être présents dans les débats, dans la manière d’imposer leur conception et nous européens, qui sur le domaine de la propriété intellectuelle et au niveau de ses acteurs, nous subissons le lobbying des britanniques sur ces questions et que nous ne sommes peut-être pas assez actifs collectivement pour dicter nos conditions.