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La Gastronomie : quels enjeux pour le droit économique et le droit de la culture

 

Les 23e rencontres juridiques organisées par l’Université Lumière Lyon 2, le jeudi 21 novembre 2019, ont été l’occasion pour les étudiants en Master 2 Droit de la propriété intellectuelle, de Lyon 2 et de Lyon 3, de se questionner sur les rapports entre la gastronomie et le droit.                                                                        Un remerciement particulier doit être adressé à M. Alexandre Quiquerez, Maître de conférences en droit privé à l’Université Lyon 2, pour avoir été à l’origine de ce colloque et pour avoir permis sa coordination.                                                                        Merci également à tous les intervenants pour leur étude et participation sur les diverses thématiques abordées.

La ville de Lyon étant désormais l’une des Cités de la gastronomie mais également qualifiée de “capitale mondiale de la gastronomie” par le “prince des gastronomes” Curnonsky en 1935, le lieu était bien choisi pour aborder cette question.

Au premier abord, cela peut paraître curieux de mêler juristes et gastronomes. Les deux domaines semblent ne rien avoir en commun. En effet, même s’il existe différents droits et obligations relatifs à l’exploitation d’un établissement de restauration, il n’existe pour autant aucun code de la gastronomie. Cependant,          le terme de « gastronomie » n’est pas totalement étranger au domaine juridique et peut même toucher plusieurs branches du droit.

 

Apéritif
Une définition juridique et historique de la gastronomie
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Entrée
Le repas gastronomique des français, patrimoine culturel immatériel de l’humanité
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Plat
La protection de la gastronomie par le droit de la propriété intellectuelle
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Fromage
La proposition de loi relative à la protection des recettes et créations culinaires
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Dessert
La fiscalité : un outil au soutien de la gastronomie ?
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Digestif
La gastronomie : le défi de l’éthique (humain, environnement, animaux)
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Apéritif
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Une définition juridique et historique de la gastronomie

 

Jean-Paul BRANLARD, Chercheur-associé au Centre d’études et de recherche en droit de l’immatériel à l’Université Paris-Sud – Paris-Saclay et membre de l’association professionnelle des Chroniqueurs et Informateurs de la Gastronomie et du Vin a abordé la question de la définition juridique de la gastronomie.

Si Jean-Anthelme BRILLAT-SAVARIN, magistrat et gastronome réputé, définissait dès 1825 dans son ouvrage « Physiologie du goût ou méditations de gastronomie transcendante» la gastronomie comme tenant à « l’histoire naturelle, la physique, la chimie, la cuisine, au commerce, à l’économie politique» il n’est fait aucune mention du droit ni d’une quelconque relation avec la gastronomie.

Alors même que la gastronomie fait naître de nouveaux intérêts, notamment juridiques en ce qu’elle crée des rapports de droit public et privé générateurs d’effets juridiques, certains juristes considèrent cette question comme futile et estiment qu’il s’agit là « d’une décote à la bourse des quotients intellectuels ».

Le législateur, les juges et la doctrine restent muets pendant un temps, dès lors aucune définition juridique n’est apportée à la gastronomie, qu’elle soit officielle ou consensuelle.

C’est dans la circulaire du 3 décembre 2009 relative aux communes touristiques et aux stations classées mentionnées dans le code du tourisme qu’une définition va trouver grâce aux yeux des juges. En effet, il est dit que les communes sollicitant le label touristique en s’appuyant sur la thématique gastronomique doivent justifier de la présence d’au moins un restaurant gastronomique répertorié dans un guide national. A ce titre, la circulaire établit que « le restaurant gastronomique est celui qui propose une cuisine perfectionnée à partir d’une matière première de qualité ».

Une précision venant enrichir la définition de la gastronomie jusqu’alors plutôt mince a été tirée de l’arrêté du 27 janvier 2016 modifiant l’arrêté du 23 décembre 2009 fixant les normes et la procédure de classement des hôtels de tourisme et l’arrêté du 3 octobre 2014 relatif à la « distinction Palace». Celui-ci dispose que l’existence d’un restaurant gastronomique de renommée internationale, la qualité et l’importance des références de la carte des vins ainsi que l’existence d’un bar font partie des attributs des établissements d’exception.

Dès lors, il est possible de déduire de ces dispositions que la gastronomie propose une cuisine perfectionnée à partir d’une matière première de qualité « enrichie d’un savoir boire incluant les spiritueux ».

Néanmoins, une définition juridique définitive de la gastronomie est loin d’être fixée.

 

Julia CSERGO,membre associée à la Chaire du Canada en patrimoine urbain de l’ESG-UQAM a abordé par la suite la question de la définition historique de la gastronomie.

Bien avant d’employer le terme « gastronomie », ce sont des mots tels que gastrosophie, gastromanie ou encore gastrologie que l’on utilisait pour renvoyer à la dévotion à l’esthétique de la cuisine et la philosophie des grands dîners.

Puis, au XIXème siècle le terme « gastronomie» apparaît. L’ Académie française fait de ce terme la définition de « l’art du bien manger et bien boire, l’art de la bonne chère».

Au sens étymologique du terme, la gastronomie renvoie à la règle du ventre. Mais une distinction est à faire car on ne parle pas d’alimentation lorsque l’on parle de gastronomie. Si l’acte de manger répond au besoin de combler la faim, celui-ci relève également du plaisir au travers de la sensorialité aux composantes affectives et aux circuits neuro-cérébraux.

Il est difficile de juger « le bien, le beau, le bon », dès lors, à partir de quels critères peut-on mesurer l’évaluation subjective de la perception organoleptique des aliments ?

En effet, un même sujet portera un regard différent sur un aliment selon le contexte, son âge et bien d’autres facteurs encore. Aussi, s’exprimer sur le bien, le bon, le beau procède d’un processus de désir et d’imagination ; ce processus fait passer le réel de l’aliment au domaine de l’imaginaire.

Aujourd’hui, le dictionnaire Larousse renvoie à la « connaissance de tout ce qui se rapporte à la cuisine, à l’ordonnancement des repas, à l’art de déguster et d’apprécier les mets». Cette définition laisse une grande part à la subjectivité et à l’interprétation que chacun peut s’en faire.

Ainsi, l’on peut constater qu’historiquement aussi, mettre le doigt sur une définition claire et précise de la gastronomie n’est et n’a jamais été une mince affaire.

Lucie Jacquet, Master 2 Droit de la Propriété intellectuelle à l’Université Lyon II

Entrée
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Le repas gastronomique des français, patrimoine culturel immatériel de l’humanité

 

Au détour d’une entrée, Madame Mylène LE ROUX,Professeure de droit public à l’Université de Nantes présentait à l’assemblée les dessous de l’inscription du repas gastronomique des français au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

En effet, si l’UNESCO classe au patrimoine mondial les monuments et sites du monde présentant un caractère d’exception depuis 1972, ce n’est que plus récemment, aux termes d’une convention de 2003 que l’UNESCO a été mandatée pour la protection du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Cette Convention ratifiée par plus de 150 Etats vise à protéger les cultures et traditions populaires qui ne seraient pas comprises dans la conception matérielle du patrimoine telle que définie par la Convention de 1972.

Ainsi l’article 2 de la Convention dispose que le « patrimoine culturel immatériel » s’entend des « pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire […] que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine ».

A ce titre, il comprend « les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel ; les arts du spectacle ; les pratiques sociales, rituels et événements festifs ; les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ; les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel ».

A ce jour 508 éléments rattachés à 122 pays figurent sur les listes. La France se place en 6ème position dans la liste des pays les plus actifs avec 17 inscriptions.

Concernant la candidature du repas gastronomique des français à l’inscription au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, le projet naît au sein de l’Institut Européen d’Histoire et des Cultures de l’Alimentation institué par Jack Lang qui oriente le projet vers l’art culinaire et le savoir-faire des grands chefs.

C’est ensuite en février 2008, à l’occasion d’une visite au salon de l’Agriculture de Paris que Nicolas Sarkozy, alors Président de la République annonçait son souhait que soit déposée en 2009 la candidature de la gastronomie française au patrimoine de l’UNESCO. Le dossier a par la suite été soutenu par le Ministère de l’Agriculture et par de nombreux chefs tels que Guy Savoy et Cyril Lignac afin de promouvoir l’art du bien boire et bien manger.

C’est ainsi qu’en date du 16 novembre 2010, les experts d’un comité intergouvernemental de l’UNESCO, réunis à Nairobi au Kenya ont statué favorablement à la demande de la France et ont inscrit le repas gastronomique des français au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Le repas gastronomique s’organise autour d’un enchaînement particulier et méthodique comme suit : un apéritif, une entrée, un plat avec du poisson et/ou de la viande accompagné de légumes, le fromage, le dessert, un digestif.

Ce repas gastronomique met l’accent sur « le fait d’être bien ensemble, le plaisir du goût, l’harmonie entre l’être humain et les productions de la nature ». Il s’articule autour d’éléments essentiels tels que « le choix attentif des mets parmi un corpus de recettes qui ne cesse de s’enrichir ; l’achat de bons produits, de préférence locaux, dont les saveurs s’accordent bien ensemble ; le mariage entre mets et vins ; la décoration de la table ; et une gestuelle spécifique pendant la dégustation (humer et goûter ce qui est servi à table) ».

Les membres du Comité relèvent que le repas gastronomique est en France « une pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes, tels que les naissances, les mariages, les anniversaires, les succès et les retrouvailles ».

Au-delà du contenu même de l’assiette c’est l’idée de convivialité qui est mise en avant et qui participe à la promotion de la diversité culturelle.

La candidature française a ouvert la voie à l’inscription d’autres pratiques culinaires aussi délicieuses qu’emblématiques telles que la pizza napolitaine, la cuisine mexicaine, la frite belge, le pain d’épice croate.

Alors forts de cette inscription au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, nous on se demande à quand le dépôt de la candidature pour l’inscription de la baguette française ?

Lucie Jacquet, Master 2 Droit de la Propriété intellectuelle à l’Université Lyon II

 

Plat 
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La protection de la gastronomie par le droit de la propriété intellectuelle

 

Madame Anne-Emmanuelle KAHN, Maître de conférences en droit privé et Directrice pédagogique du Master 2 Droit de la Propriété intellectuelle de l’Université Lumière Lyon 2, a abordé la question du rapport entre gastronomie et droit de la propriété intellectuelle.

La gastronomie et les créations culinaires sont omniprésentes de nos jours. Les livres culinaires suscitent en effet un véritable engouement dans le secteur de l’édition, tout comme les blogs et les émissions de télé-réalité culinaires. Cependant, on constate une augmentation constante des copies et de la concurrence dans ce domaine (comme l’« Ispahan » de Pierre Hermé). Ces créations culinaires, qui peuvent être tout aussi bien esthétiques ou artistiques qu’utilitaires ou industrielles, ont un rapport avec la propriété intellectuelle. En effet, elles sont perceptibles par les cinq sens et en partant de la recette jusqu’au résultat, elles peuvent constituer, à chaque étape de ce processus, plusieurs objets de protection. Le droit de la propriété intellectuelle peut contribuer à protéger les différents éléments de ce processus de création opéré par les cuisiniers et pâtissiers.

La recette, point de départ de la création culinaire, pourrait être a priori protégeable par le droit d’auteur, et cela sans formalité. En effet, le Code de la propriété intellectuelle (CPI) considère comme oeuvres de l’esprit protégeables par le droit d’auteur, les écrits littéraires et artistiques.                                                                    Les idées et méthodes étant toutefois de libre parcours, la protection par le droit d’auteur nécessite leur formalisation d’une manière originale. Dans le cas de la recette, cette condition de l’originalité suscite des interrogations. La recette consistant, la plupart du temps, en une compilation d’éléments et une suite d’instructions successives, « l’empreinte de la personnalité de l’auteur » ne peut qu’être difficilement constatée. Même si une décision de 1975 a pu admettre que les recettes de cuisine puissent bénéficier de la protection du droit d’auteur, la jurisprudence les refuse majoritairement du fait de leur absence d’originalité. La protection de la recette est exclue par le droit des brevets.                En effet, le CPI exclut des inventions « les plans, principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles ». La recette en tant que telle consistant en une méthode avec des instructions et des étapes ne peut donc pas être considérée comme une invention brevetable.

Le procédé de production du plat ou sa composition, quant à eux, sont potentiellement brevetables s’ils remplissent les conditions de brevetabilité (nouveauté, activité inventive et application industrielle). Le chef cuisinier Joël Robuchon a déposé plusieurs brevets dont la « papillote de pigeon et fois gras au chou vert et son procédé de préparation » (FR2744883). La durée de protection par le droit des brevets est de vingt ans.

Le nom de la création culinaire peut être protégé au titre du droit d’auteur. Le CPI dispose que « le titre d’une oeuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’oeuvre elle-même ». Cependant, le droit des marques demeure plus intéressant de par la durée de protection qu’il confère.              Tandis que le droit d’auteur confère un droit exclusif d’exploitation sur l’oeuvre jusqu’à soixante-dix ans après la mort de l’auteur, la marque confère un monopole d’exploitation à son titulaire pour une durée illimitée (10 ans renouvelable indéfiniment). Cependant, protéger le nom du plat par le droit des marques exige, de par la condition de distinctivité, que le signe protégé ne soit ni un nom générique désignant le produit ni une description du produit ou de ses ingrédients. A ainsi été annulée la marque « Dune » au motif que le terme « Dune », présenté comme une spécialité bordelaise au même titre que le canelé, ne peut pas être approprié en tant que marque car ne renvoyant pas à une entreprise.                                    Cependant, la dénomination « Praluline » déposée à titre de marque par François Pralus a pu être admise. La protection du nom de la création culinaire par le droit des marques peut néanmoins être contournée par les tiers pouvant reproduire l’apparence de la création et la nommer autrement.

L’ aspect visuel de la création culinaire peut, quant à lui, être protégé par le droit d’auteur mais également le droit des dessins et modèles. En droit d’auteur, la théorie de l’unité de l’art implique que l’oeuvre puisse être protégée quelle qu’en soit la forme d’expression. Le caractère éphémère de la création est donc indifférent pour la protection.                                                              Cependant, il est obligatoire pour le designer culinaire qui invoque le bénéfice du droit d’auteur de décrire les éléments constituant l’originalité de son plat donc reflétant sa personnalité, son style particulier. Se pose alors la question des photos de ces plats publiées sur les réseaux sociaux par les clients des restaurants. Juridiquement, cette publication pourrait constituer une atteinte au droit d’auteur mais, en pratique, les chefs ne s’y opposent pas. 
    Le droit des dessins et modèles, quant à lui, permet une protection de l’apparence ou d’une partie du produit pour une durée de cinq ans renouvelable jusqu’à vingt-cinq ans, à partir de la date du dépôt. Pour cela, les conditions de nouveauté et de caractère propre doivent être réunies. La protection par ce droit sera néanmoins impossible si la présentation est exclusivement imposée par des contraintes techniques ou matérielles. L’entreprise de gastronomie de luxe « Fauchon » a déposé à titre de modèles plusieurs de ses pâtisseries.

Enfin, se pose la question de la protection de l’apparence de la création culinaire en tant que marque figurative ou tridimensionnelle. Elle est possible mais la condition de distinctivité est souvent difficile à remplir. Le signe, pour remplir la fonction d’identification de la marque, ne doit ni être constitué exclusivement par la forme imposée par la nature ou fonction du produit, ni conférer au produit sa valeur substantielle.                                                                                                                                        De plus, l’Office de l’Union Européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) et la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) apprécient ce caractère distinctif de façon particulièrement stricte.

La création gustative est l’élément principal de la création culinaire mais également celui suscitant le plus d’interrogations. Le droit d’auteur pourrait la protéger du fait notamment de l’indifférence du mérite et de la forme d’expression de l’oeuvre. Cependant, la jurisprudence française a toujours refusé de protéger les oeuvres gustatives au titre du droit d’auteur. Également, la CJUE, dans une décision du 13 novembre 2018 (Levola Hengelo BV c/ Smilde Foodes BV, C-310/17) a exclu la protection de la saveur par le droit d’auteur. La Cour a ainsi rappelé que la notion d’oeuvre doit être interprétée de façon autonome et uniforme dans le droit de l’Union Européenne et exige une expression qui rende l’objet de la protection identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité.

Ainsi, la Cour considérant que « l’identification de la saveur d’un produit alimentaire repose essentiellement sur des sensations et des expériences gustatives subjectives et variables», l’originalité de la création gustative ne peut être objectivement appréciée. Cette décision est contestable sur plusieurs points notamment sur le fait qu’il est possible de caractériser objectivement l’oeuvre gustative en tant que combinaison originale de saveurs associées connues selon les choix créatifs et personnels de son auteur. À ce dernier ensuite de déterminer les éléments caractérisant l’originalité. Le juge pourrait également faire appel à des experts culinaires pour le guider dans l’appréciation de la contrefaçon.

Selon la Cour, l’identification précise et objective de la saveur étant impossible « par des moyens techniques en l’état actuel du développement scientifique », peut-être laisse t-elle persister un léger espoir pour sa protection future ?

Qu’en est-il de la protection de la saveur par le droit des marques ?

À ce jour, aucune marque gustative n’a pu être déposée, et cette situation risque de perdurer malgré la suppression du critère de représentation graphique par la directive UE 2015/2436. En effet, l’article 3 de la directive exige toutefois que le signe soit« représenté d’une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l’objet bénéficiant de la protection conférée à son titulaire ». De plus, le point 13 de la directive exige que le signe soit représenté « d’une manière claire, précise, distincte, facilement accessible, intelligible, durable et objective». Il serait alors complexe pour le goût d’être représenté d’une manière durable et objective.

Pour conclure, les différents éléments constituant le processus de création culinaire manquent vraisemblablement d’une protection solide et uniforme par le droit de la propriété intellectuelle. Restent donc des modes de protection alternatifs pour protéger efficacement et durablement ce savoir-faire culinaire : le secret de fabrique, la protection de l’information par le secret des affaires, les outils contractuels (accords de confidentialité ou de partenariats, clauses de non-concurrence) et le droit de la concurrence déloyale et parasitaire.

Dans le secteur de la gastronomie, on constate tantôt une volonté de transmission et de partage du savoir-faire, tantôt une demande de protection effective et généralisée des créations culinaires. La cuisine et notamment la gastronomie font preuve de plus en plus de créativité tandis que le cuisinier n’est toujours pas reconnu comme un artiste au même titre qu’un peintre ou un écrivain. Pour tenter de remédier à ce problème, une proposition de loi relative à la protection des recettes et créations culinaires est actuellement en cours d’examen.

Meilie Colley-Bonafos,Master 2 Droit de la Propriété intellectuelle à l’Université Lyon II.

 

Fromage
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La proposition de loi relative à la protection des recettes et créations culinaires

 

Cette proposition de loi a été en partie élaborée par Maître Timothée FRINGANS-OZANNE, avocate au barreau de Lyon et docteure en droit. Après avoir effectué un mémoire de fin d’études sur la protection des recettes de cuisine par le droit de la propriété intellectuelle, elle a poursuivi ses recherches sur le sujet dans le cadre d’une thèse incluant la rédaction d’un prototype de loi qui tentait de répondre à l’absence de protection effective des recettes et des créations culinaires. La députée des Alpes-Maritimes, Marine Brenier, sensible à la gastronomie et à la demande de protection des recettes ancestrales niçoises, a été séduite par ce sujet et l’a soutenu pour finalement aboutir au dépôt de la proposition de loi n°1890 à l’Assemblée Nationale le 30 avril 2019.

Cette proposition de loi vise à inscrire dans le Code du patrimoine une protection et une valorisation des recettes traditionnelles et des créations culinaires. L’esprit de ce texte consiste à promouvoir la gastronomie en tant que patrimoine culturel français reconnu à l’international mais également renforcer l’identité régionale.

La première partie concerne la mise en valeur des recettes traditionnelles en les répertoriant dans un registre officiel. Elle répond à une véritable demande des cuisiniers et restaurateurs : un sondage expose que 65 % d’entre eux auraient une volonté réelle d’avoir un répertoire officiel des recettes phares françaises et des spécialités régionales. Pour cela, la proposition de la loi envisage la création de la Fondation pour la gastronomie française qui aurait pour « but de promouvoir la connaissance, la conservation et la mise en valeur de la gastronomie nationale ». De plus, la Fondation récompenserait les restaurateurs respectueux de la recette par la délivrance d’un certificat d’authenticité.

La seconde partie davantage orientée vers le côté propriété intellectuelle envisage la création d’un système de protection sui generis créé spécialement pour les créations culinaires, avec une nouveau titre de propriété intellectuelle : le certificat de création culinaire. Ce dernier serait délivré par l’Institut National de la Création Culinaire Certifiée (INCCC) dont la mission serait de « centraliser, diffuser toutes informations nécessaires pour la protection des créations culinaires ainsi que d’engager toutes actions de sensibilisation et de formation dans ce domaine » et de pourvoir à l’examen, la délivrance et la surveillance du maintien des certificats de création culinaire, à l’image de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI). On constate que les conditions et la procédure d’enregistrement ainsi que le régime de ce certificat seraient une sorte de combinaison entre les différents droits de propriété intellectuelle. En effet, seraient certifiables « les créations culinaires impliquant une activité créatrice et démontrant un caractère gustatif propre ».

La durée de protection, à partir de la date de dépôt de la création culinaire, serait de vingt ans. Également, une procédure d’opposition est prévue auprès de l’INCCC. Quant à son régime, le certificat conférera un droit exclusif d’exploitation à son titulaire et des droits moraux au créateur culinaire indiqué sur le titre (droit de divulgation, droit au nom et droit au respect de la création culinaire).

Actuellement, la proposition de la loi est en cours d’examen par la Commission des Affaires Culturelles et de l’Éducation.

Pour conclure, on ne peut qu’encourager cette proposition de loi qui a le mérite d’exister. En effet, la protection étant de plus en plus convoitée par les métiers de bouche, l’industrie agro-alimentaire, la blogosphère ainsi que les consommateurs, cela pourrait faire avancer les choses en la matière et répondre à leurs attentes. L’absence de sanctions est également un point fort qui permettrait de mettre davantage en avant l’idée de respect des recettes traditionnelles, de récompense et de mise en valeur de la gastronomie française. Les créations culinaires ont une valeur économique qu’il faut protéger au même titre que le reste de l’art. La divulgation des certificats de créations culinaires déposés contribuerait à promouvoir la création, la réflexion et le progrès dans ce domaine. Enfin, les titulaires pourraient profiter de cette protection notamment par la concession de licences.

Toutefois, on peut regretter qu’aucune de ces nouvelles dispositions ne soient présentes dans le CPI, mais uniquement dans le Code du patrimoine. Se pose la question de savoir s’il n’aurait pas été plus judicieux de protéger d’une part, les recettes traditionnelles par le biais du Code du patrimoine, et d’autre part, les création culinaires par le biais du CPI.

En outre, elle introduit de nouvelles notions floues et trop subjectives pour être suffisamment intelligibles.

Comment définir « l’authenticité » d’une recette traditionnelle ? Sur quelle période se base t-on ? Cela consisterait à figer un patrimoine vivant. Quant à la condition de « caractère gustatif propre» de la création culinaire, elle nécessiterait, selon la proposition de logique « ses qualités gustatives donnent une impression d’ensemble de non déjà goûté».

Enfin, on peut relever quelques incohérences notamment du fait qu’on procède d’un côté à la reconnaissance du patrimoine et de l’autre, on permet une appropriation privative. Puis, le droit d’auteur et le droit des dessins et modèles tendent à être délaissés au profit du système du droit des brevets alors que l’art et le brevet ne sont pas en symbiose.

Léa Bouchand et Meilie Colley-Bonafos, Master 2 Droit de la Propriété intellectuelle à l’Université Lyon II

 

Dessert
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La fiscalité : un outil au soutien de la gastronomie ?

 

Cette question a été abordée par Monsieur Olivier Négrin,Professeur de droit public à l’Université d’Aix-en-Provence. L’absence d’une véritable définition juridique de la gastronomie affecte négativement son soutien fiscal.

La gastronomie est une notion que l’on trouve de façon éparse dans les textes juridiques, c’est une notion délaissée par le législateur et les tribunaux.

La fiscalité, quant à elle, constitue pour l’État un instrument particulièrement efficace pour mettre en oeuvre ses choix de politique générale. Par le biais de dispositifs de faveurs, que l’on nomme « pudiquement » niche fiscale, des dispositions législatives ou réglementaires vont déroger à la norme fiscale. Toutefois, face à l’ampleur des déficits publics et de la multiplication de ces faveurs, l’État tente de les réduire. Cette année, l’État a failli remettre à plat les niches fiscales en matière de restauration.

Se pose la question de savoir si la fiscalité est réellement un outil au soutien de la gastronomie.

Sans surprise, il y a peu de dispositifs fiscaux incitatifs au soutien de la gastronomie. De manière générale, les activités de la restauration relèvent du droit commun.

Depuis 2014, le taux de TVA de la restauration a été abaissé à 10% supprimant enfin, la distorsion de concurrence existant entre la livraison de biens alimentaires et la prestation de service d’un restaurant. Ce dernier relevait d’un taux normal de TVA de 20% alors que celui du secteur de la vente à emporter était déjà au taux réduit de 10%. Toutefois, on ne peut véritablement dire que ce taux de TVA a été créé au soutien de la gastronomie. Il est en effet tout autant applicable aux fast-food qu’aux restaurants gastronomiques, même si l’investissement n’est pas le même. Un restaurant gastronomique est un restaurant de prestige respectant une certaine tenue, une certaine qualité de produits et de services, c’est aussi un Chef de cuisine expérimenté à la recherche sans cesse d’innovation.

Le Chef d’un restaurant gastronomique ne bénéficie pas d’un régime particulier, c’est un chef d’entreprise indépendant ou un salarié. On peut sans aucun doute regretter le régime particulier des maîtres restaurateurs…

Ce dispositif fiscal a été mis en place en 2007 afin de reconnaître la qualité de certains restaurants.Un maître restaurateur est un Chef de cuisine qui exerce dans des établissements répondant à certains critères de qualité. En réalité, le maître restaurateur fait de la cuisine sur place, à partir de produits frais et non surgelés en favorisant les circuits courts. En récompense, le législateur lui a accordé un crédit d’impôt consistant à diminuer l’impôt de certaines dépenses de 50% dans la limite de 30.000 euros. Il s’agit donc d’un avantage fiscal de 15.000 euros qui vaut pour l’année d’obtention du titre ainsi que pour les deux années suivant son obtention.

Ce soutien permet d’investir et d’améliorer l’équipement de la salle et de la cuisine de ces restaurants gastronomiques. Malheureusement, ce dispositif va s’interrompre à la fin de l’année, on ne délivre plus le titre de maître restaurateur. Aujourd’hui, il existe environ 3.800 maîtres restaurateurs.

La note, c’est-à-dire la facture étant servie en fin de repas par le restaurateur, fait l’objet de déduction. Pendant très longtemps, le droit français faisait obstacle à la déduction de la TVA pour les dépenses de restauration. Depuis la décision Compagnie Alitalia du Conseil d’État, du 3 février 1989, la note est déductible du résultat d’une entreprise. Selon l’article 54 quater du Code général des impôts (CGI), il existe un contrôle des frais généraux. Les dépenses de restauration font parties des dépenses suspectes.

Lorsqu’elles dépassent le seuil de 6.100 euros, l’entreprise devra les justifier et si les dépenses de restauration augmentent plus que les bénéfices, l’entreprise devra démontrer qu’elles sont nécessaires à son activité. Là encore, il s’agit du droit commun…

Pourrait-on envisager l’application sélective des taux réduits, en réservant un taux réduit de TVA aux restaurants gastronomiques ?Pourrait-on envisager la création d’un logo fiscal au soutien des restaurants gastronomiques ?Ou encore pourrait-on envisager la réintégration d’un nouveau crédit d’impôt en faveur des restaurants gastronomiques ?

Léa Bouchand, Master 2 Droit de la Propriété intellectuelle à l’Université Lyon II

 

Digestif
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La gastronomie: le défi de l’éthique (humain, environnement, animaux)

 

Un bon repas ne pouvant se terminer sans un digestif, Florence Arnaud,Maître de conférence en droit privé et chercheure associée au Centre d’études et de recherche en droit de l’immatériel, à l’Université Paris-Sud – Paris-Saclay, a présenté les défis éthiques de la gastronomie.

Les métiers de bouche, en plus de devoir répondre à des exigences sanitaires particulièrement élevées, sont aujourd’hui confrontés à de nouveaux défis sur le plan éthique et environnemental. Les consommateurs veulent bien se nourrir tout en respectant la protection de l’environnement et en limitant la souffrance animale.

Le mot éthique vient du grec signifiant « qui concerne la morale, les mœurs». L’éthique pose des interdits, indique ce qu’il faut faire ou ne pas faire.

Pour cette raison se pose notamment la question des comportements justes envers les animaux. Le bien-être animal est de plus en plus considéré comme essentiel par les consommateurs. Au cours des dernières années, on observe de nombreux Etats légiférer pour la protection des animaux, notamment lors de leur transport ou de l’abattage. Ainsi, dans le cadre d’une révision des lois relatives à la protection des animaux, la Suisse a interdit en 2018 la pratique culinaire consistant à plonger les homards vivants dans de l’eau bouillante.

Désormais, ils doivent être étourdis avant d’être mis à mort. De plus, ils ne pourront plus être transportés avec de la glace ou dans de l’eau glacée, mais devront être détenus dans leur milieu naturel.
Il ne s’agit pas seulement d’éthique, la différence culturelle entre aussi en jeu. En Chine, par exemple, on ne s’émeut pas de voir de la viande de chien servie à table, alors qu’en France, il est inconcevable de manger un animal de compagnie.

Se pose aussi la question de la gastronomie et de son impact environnemental. En effet, l’alimentation est très émettrice de gaz à effet de serre. Le consommateur veut bien manger mais sans détruire la planète. C’est pour cette raison que de grands chefs s’engagent aujourd’hui pour une cuisine éthique. Les produits de saison et locaux sont davantage mis à l’honneur et la consommation de viande a tendance à diminuer dans les pays développés, au profit des protéines végétales.

Julie Dellapina,Master 2 Droit de la Propriété intellectuelle à l’Université Lyon II.

 

 

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