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Le monde du spectacle « sous perfusion » : La SACEM multiplie ses partenariats et généralise la rémunération des « livestreams »

Soyons francs, j’ai vivement hésité sur la manière la plus fine d’introduire un tel sujet. Rejoindre la mélodie dramatique et verser ma larme sur un déclin inévitable du monde du spectacle ?

Expliquer naïvement qu’un virus est voué à être éradiqué quand l’art et la culture sont immortels et lui survivront toujours ?

La débâcle n’est pas totale… mais presque. Les récentes mesures de restriction de la vie publique bousculent notre rapport à la culture et les codes établis pour la consommer. Les artistes sont descendus de scène et s’installent désormais dans leur salon, caméras et micros branchés : de même, nous quittons la fournaise du Transbordeur pour les rejoindre sur leur « livestream ». Nombres de réseaux sociaux et plateformes dédiées hébergent désormais le monde du spectacle et deviennent les principaux relais d’expériences culturelles. Il en va de la survie du monde du spectacle, aussi se pose la question des moyens dont disposent les créateurs de contenus pour survivre décemment.

 Or, force est de constater qu’une certaine combativité s’exprime dans les milieux concernés, à l’image de l’accord trouvé entre la SACEM et la plateforme Twitch, qui ne voient dans la tourmente aucune fatalité. Les mesures négociées vont principalement dans le sens d’une rémunération réadaptée des auteurs et artistes intervenant sur Twitch.

Cet accord témoigne d’une volonté exprimée par la SACEM d’accompagner ce renouveau avec « les acteurs innovants de l’industrie musicale »[1], que sont aujourd’hui Facebook, YouTube, Twitch, Instagram ou Akius. Pionnière en la matière, la SACEM fut l’une des premières sociétés à obtenir des géants une rémunération pour l’utilisation de la musique sur leurs plateformes, s’agissant uniquement de musiques enregistrées. Les « live musicaux » étaient, eux, dépourvus de toute rémunération supplémentaire.

 

La mise en place d’un revenu affecté à la diffusion des « livestreams »

Confrontée à la baisse significative des évènements de représentation, pour « sauver » le monde du spectacle d’une crise aussi violente qu’injuste, la SACEM intervenait le 14 mai dernier pour annoncer une répartition spécifique pour les livestreams : affecter une partie de la collecte des droits de Google et de Facebook à la rémunération des artistes se produisant en live. Dès lors, et rétroactivement à compter du 15 mars 2020, toute déclaration d’un livestream entraine rémunération.

Le calcul de la rémunération résulte d’un subtil compromis entre la rémunération forfaitaire d’un concert live d’une part affectée d’une pondération quant au nombre de vues d’autre part, empruntant au système d’exploitation des œuvres sur Internet.

« Le livestream d’un seul titre sera rémunéré 10€ minimum : les livestreams d’une durée de moins de 20 minutes seront payés 46,35 euros et ceux de plus de 20 minutes 76 euros. Viendront s’y ajouter 0,001 euro par vue – en prenant en compte les replays, sur YouTube par exemple, comptabilisés chaque trimestre[2]».

Ainsi, si j’ai diffusé en live pendant 25 minutes et que ce livestreams a été visionné 50.000 fois, ma rémunération s’élève à la somme forfaitaire de 76 euros, à laquelle s’ajoute un complément de 50 euros (50.000 x 0,001), soit un total de 126 euros.

C’est tout beau, mais si un tel système existe déjà depuis mai dernier, que nous apportent les discussions amorcées par la SACEM auprès des plateformes Twitch (septembre 2020), puis très récemment Akius (Novembre 2020) ?

 

Vers un système de collaboration directe entre la SACEM et les acteurs innovants de l’industrie musicale

Jusqu’ici, la rémunération des livestreams est soumise à déclaration du créateur de contenu. Conséquence logique, il lui incombe de veiller à déclarer chacune de ses interventions. Or, le fruit même des accords que la SACEM a conclu avec Twitch et plus récemment Akius est de tendre vers une reconnaissance informatique automatisée des livestreams : le balayage de « robots-scanners » permettant d’identifier la poursuite d’un live musical permettrait une déclaration automatique de celui-ci à la SACEM.

Par ailleurs, cette collaboration technique permettrait également le « reporting » systématique d’une œuvre protégée lorsque celle-ci serait diffusée par un créateur de contenu ne disposant d’aucune autorisation ou licence. Une mesure que Twitch a déjà bien pris en main ; si vous êtes coutumiers de la plateforme, il se peut que certains de vos streamers favoris aient vu leurs « clips » (enregistrement d’une séquence de live, entièrement disponible sur leur chaine) censurés du fait de l’utilisation de musique protégée durant leur live. Dans pareils cas, l’indignation est grande, et tous pointent du doigt un changement de politique profond effectué par la plateforme Twitch, qui semble se conformer davantage à la philosophie dite du « DMCA » (Digital Millenium Copyright Act).

En deux mots, cette loi américaine (1998) permet aux fournisseurs de services en ligne « coopératifs » de s’exonérer de toute responsabilité quant à une atteinte aux droits d’auteurs hébergée sur leur site dès lors que ceux-ci retirent « dans les meilleurs délais » tout contenu susceptible d’une telle atteinte. De deux choses l’une ; la plupart des plateformes dont il est question ici sont soumises au droit américain, et la quasi-totalité d’entre elles coopèrent vivement à la prévention de toute atteinte, quitte à censurer par principe nombre de contenus parfaitement licites. En effet, les quantités de donnée à analyser sont si importantes qu’un contrôle assidu implique une censure automatisée par robot-scanners, parfois impropres à ne censurer que le strict nécessaire.

 

La rémunération des « livestreams » : une mesure commandée par l’urgence ou les prémices d’un système de rémunération durable ?     

Nombre de questions ont été adressées à la SACEM quant à la pérennité de cette nouvelle politique de répartition des revenus attachés au droit d’auteur qui, rappelons-le, consiste en un « simple » glissement de la masse des revenus payés par ces géants pour l’utilisation de musiques enregistrées pour rémunérer les « live ». Rien n’est moins sûr : lorsqu’elle fait allusion à ce nouveau système de rémunération, la SACEM se charge de rappeler le caractère exceptionnel de celui-ci[3].

Interrogée par France Inter au sortir du confinement de mai 2020, Cecile Rap-Veber (directrice des licences, de l’international et des opérations de la Sacem) affirmait avoir demandé au Conseil d’administration « de pérenniser le principe selon lequel nous allions devoir rémunérer le livestream ». La démarche active de la SACEM en ce sens, au regard des partenariats qu’elle sollicite, semble à tout le moins vouloir prolonger ce système de rémunération sur l’année à venir.

Pourtant, et c’est l’enjeu crucial, la pérennisation d’un tel système passe par une renégociation de certains des accords passés avec Google et Facebook (pour y inclure le paiement des droits réservés à la rémunération des livestreams) et la création de partenariats de ce type avec toutes les plateformes s’attachant à la diffusion d’œuvres musicales. L’accord récemment conclu avec la jeune plateforme Akius (ayant pour principale vocation de professionnaliser le livestream) incline en tout point vers la poursuite d’une telle politique.

 

Par Etienne GARNIER, Université Jean Moulin Lyon 3

[1] Communiqué de la SACEM du 4 novembre 2020

[2] Article France Inter du 20 mai 2020 « Musique confinée : la SACEM va rémunérer les artistes qui ont joué en « live » sur Internet », par Julien Baldacchino.

[3] Communiqué de la SACEM du 4 novembre 2020 « Livestreams : La SACEM annonce un nouvel accord avec l’application mobile Akius »

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