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Reflexion juridique

Impression 3D : comment anticiper la contrefaçon ?

Machine capable de reproduire n’importe quel objet depuis chez soi à partir d’un simple fichier informatique, l’imprimante 3D a tout du pire cauchemar des titulaires de droit de propriété intellectuelle. Si le phénomène reste encore assez marginal (et coûteux) pour un usage privé, il convient de ne pas sous-estimer cette nouvelle technologie et d’envisager dès maintenant l’encadrement juridique qui pourrait être mis en place.

Il serait d’ailleurs excessif de dresser un portrait trop négatif de l’impression 3D. Au delà des considérations écologiques et économiques (possibilité de produire plus localement, production « à la demande »), cette dernière pourrait se révéler, contrairement à notre première impression, comme un outil efficace de lutte contre la contrefaçon.

 

Mais qu’est-ce que c’est au fond, l’impression 3D ?

La méthode est en apparence simple : grâce à un logiciel de création assistée par ordinateur (CAO), un fichier est mis au point, et permet ensuite via une imprimante 3D de reproduire ledit objet par superposition de couches ou autre procédé. Si cela peut paraître assez abstrait, force est de constater que les limites de cette technique sont bien moins restreintes que ce que l’on pourrait imaginer.

Les exemples sont nombreux : voitures, maisons d’habitation « imprimées en 24h », biens de consommation (et notamment pièces de rechange), l’impression 3D offre des perspectives de gains de temps, de place, et de matière première[1]. Loin de se limiter à une simple production de biens, le vivant fait également partie des « matières premières » exploitables.

De nombreuses industries se sont d’ailleurs intéressées à ce nouveau procédé. En 2016, le PDG du groupe SEB annonçait que 50 à 75% du petit électroménager du groupe serait disponible sous forme de fichier 3D pour faciliter leur logistique. A une autre échelle, la NASA testait cette même année une imprimante 3D à bord d’ISS, pour permettre aux astronautes à partir d’un simple fichier d’imprimer le matériel nécessaire directement depuis la station[2].

 

Mais quid de la contrefaçon ?

Si les perspectives techniques sont donc nombreuses et encourageantes, cela ne doit pas nous faire oublier que les portes ouvertes en matière de contrefaçon sont elles aussi gigantesques. Là encore, l’impression 3D frappe fort, puisqu’elle permettrait à n’importe qui de contrefaire tout type de droit de propriété intellectuelle : droit d’auteur, dessin et modèle, brevet, marque…

Le premier obstacle de taille est de déterminer le responsable d’une telle contrefaçon. Caroline Le Goffic identifie ainsi dans son étude sur le sujet pas moins de 12 types d’acteurs concernés, allant du concepteur de logiciel de création assistée par ordinateur aux fournisseurs de service d’impression 3D. In fine, tout dépend du droit de propriété intellectuelle concerné, puisque les conditions de la contrefaçon et les régimes d’exceptions varient[3].

Mais comment empêcher concrètement la prolifération de ce type de pratiques ? L’European Observatory on Infringements of Intellectual Property Rights rendait en septembre dernier le rapport « Intellectual Property Infringement and Enforcement Tech Watch ». Dans ce document sont discutés les dangers mais également les perspectives qu’offrent les nouvelles technologies[4], parmi lesquelles l’impression 3D.

Plusieurs solutions sont ainsi envisagées. A défaut de pouvoir pleinement appréhender juridiquement le phénomène, il semble falloir prendre le mal par le mal, et apporter des remèdes technologiques aux maux technologiques.

Sont ainsi évoquées plusieurs solutions. La première est celle du « fingerpriting » ou « watermarking », qui consiste de manière synthétique en l’apposition sur le produit d’une empreinte, d’une « marque » au sens commun du terme, faisant office de certificat d’authenticité.

D’autres options se placent au niveau de l’imprimante 3D. Ainsi, la détermination d’un nombre d’impression maximum par fichier, ou l’organisation d’un système d’autorisation, peuvent être envisagés. L’idée ici, c’est que l’imprimante à sa lecture du fichier CAO soit en mesure de déterminer s’il a déjà dépassé sa limite autorisée de reproduction, ou si elle n’a tout simplement pas été autorisée à le faire (en se basant notamment sur son numéro de série).

Cette technique de marquage des produits, permise par l’impression 3D, pourrait d’ailleurs permettre de lutter contre la contrefaçon, en identifiant par scanner 3D les produits non-contrefaisants, ou en signalant les tentatives de contrefaçon.

Pour autant, si ces initiatives doivent être saluées, elles ne trompent personne sur la possibilité évidente de les contourner. Le contrôle des fichiers CAO permet ainsi de limiter la circulation de fichiers non contrefaisants irrégulièrement obtenus, mais ne résout pas l’hypothèse dans laquelle un contrefacteur créerait lui-même le fichier, ou parviendrait à contourner le dispositif de sécurité. Sauf à le faire de manière involontaire, il va de soi que les contrefacteurs auront conscience de ces nouvelles techniques de protection, et tenteront ainsi de s’en détourner comme cela a déjà été le cas avec des technologies plus contemporaines.

Face à cela, Caroline Le Goffic évoque dans son étude[5] la nécessaire responsabilisation des intermédiaires techniques aux problématiques de contrefaçon. Cela pourrait notamment passer par des mesures d’injonction des tribunaux, et cela indépendamment de leur qualité de contrefacteur, pour empêcher la circulation et l’utilisation de fichiers contrefaisants.

 

En définitive, beaucoup de réponses restent à apporter face aux risques de l’impression 3D. Pour l’instant, la méthode est trop lente et coûteuse pour de la contrefaçon à grande échelle, et ne semble pas plus dangereuse que les pratiques classiques en la matière. Pour autant il ne fait aucun doute que le développement de cette technologie remettra rapidement le sujet sur la table. Au delà d’ailleurs de la propriété intellectuelle, d’autres problématiques juridiques pourraient être posées, notamment celle de la responsabilité en cas de préjudice subi du fait d’un produit créé via une imprimante 3D.

Bastien Savin, Université Jean Moulin Lyon 3

 

[1] L’industrie se fie à l’impression 3D ; Sophy Cualier, Didier Géneau ; lemonde.fr ; 9 mars 2016. Consulter ici : https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/03/14/l-industrie-se-fie-a-l-impression-3d_4882502_3234.html

[2] Ibid.

[3] Lire à ce sujet Contrefaçon dans le cadre de l’impression 3D : responsabilités et remèdes ; Caroline Le Goffic, dans INPI – La propriété intellectuelle et la transformation numérique de l’économie. Consultable ici : https://www.inpi.fr/sites/default/files/4_2_extrait_pi_et_transformation_economie_numerique_inpi.pdf

[4] En l’espèce, 6 sont évoquées : la robotique, l’impression 3D, les nanotechnologies, l’IA, la réalité augmentée et la Blockchain. Consultable ici : https://euipo.europa.eu/tunnel-web/secure/webdav/guest/document_library/observatory/documents/reports/2020_Tech_Watch_paper/2020_IP_Infringement_and_Enforcement_Tech_Watch_Discussion_Paper_Full_EN.pdf

[5] Contrefaçon dans le cadre de l’impression 3D : responsabilités et remèdes, Caroline Le Goffic, précité.

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