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Le brevet européen à effet unitaire : une never ending story ?

Le 13 avril 2011, la Commission Européenne publiait « L’acte pour le marché unique », une communication adressée au Parlement Européen, présentant « Douze leviers pour stimuler la croissance et renforcer la confiance ».

Parmi ces priorités, on y trouve en troisième position le brevet européen à effet unitaire, dont la finalité, à terme, est de « rendre l’innovation moins coûteuse et plus facile pour les entreprises et les inventeurs de toute l’Europe » selon les termes du commissaire européen au Marché Intérieur.

La Commission Européenne avait exprimé dans sa communication un objectif que l’on peut aujourd’hui qualifier d’extrêmement optimiste puisqu’elle souhaitait « délivrer les premiers brevets bénéficiant de cette protection unitaire en 2013 ».

Pourtant, le 27 février 2020, le Royaume Uni poursuivant sa volonté de s’émanciper des institutions européennes, annonçait officieusement qu’il ne participerait finalement pas « au système unifié » et dans une décision publiée le 20 mars de la même année, la Cour constitutionnelle allemande annulait la loi ratifiant l’Accord sur la juridiction unifiée du brevet (JUB).

Si 2020 n’est pas l’année du brevet unitaire européen, cela n’en marque pas pour autant la fin, ce qui nous amène à approfondir les tenants et aboutissants de ce projet.

Tout part d’un constat. En 2011, aux Etats-Unis, 224 000 brevets ont été déposés, faisant d’eux les champions du monde dans le domaine, suivis de près par la Chine, qui en a déposé 172 000[1]. Cependant, en Europe les brevets n’ont représenté que 62 000 dépôts cette même année.

L’innovation est un facteur de croissance, déterminant pour la compétitivité d’une entreprise, mais cette dynamique semble être entravée en Europe.

Cette situation n’est pas sans explication.

La protection efficace d’une création technique par un brevet à l’échelle de l’Union Européenne représente aujourd’hui des coûts très élevés, et des démarches administratives dissuasives tant elles sont longues.

En effet, c’est l’Office Européen des Brevets (OEB), regroupant 39 pays, qui est chargé de l’examen des demandes et de la délivrance des brevets européens. L’inventeur doit cependant faire valider son brevet dans chaque pays où il souhaite bénéficier d’une protection, entrainant ainsi des coûts de traduction et des frais administratifs pouvant atteindre jusqu’à 36 000 euros, contre 1850 euros en moyenne aux Etats Unis[2].

C’est pour lutter contre cet état de fait que le 19 février 2013, 25 Etats membres de l’Union Européenne signaient l’Accord relatif à une Juridiction unifiée du brevet (JUB), constatant officiellement la création du brevet européen à effet unitaire.

En effet, l’effectivité de ce dernier dépendant de la création d’une juridiction unifiée du brevet (JUB), les règlements UE n°1257/2012 et n°1260/2012 l’établissant ne s’appliqueront qu’à la date d’entrée en vigueur de l’Accord relatif à la JUB, soit, selon l’article 89 « le premier jour du quatrième mois suivant celui du dépôt du treizième instrument de ratification, y compris par les trois Etats membres dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens produisaient leurs effets en 2012, soit la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni »[3].

Ainsi, même si les brevets unitaires ne pourront couvrir que les Etats ayant ratifié l’Accord relatif à la JUB, l’inventeur pourra choisir de se voir délivrer par l’OEB un titre juridique à effet unitaire, effectif sur le territoire de ces Etats.

Il bénéficiera en conséquence d’une traduction automatique en anglais, allemand ou français (qui sont les trois langues officielles du brevet à effet unitaire). Ces textes ouvrent la voie à une simplification des procédures de délivrance et les coûts supportés par les inventeurs seront divisés par 7.

De même, la mise en place d’une juridiction unifiée du brevet, ayant une compétence exclusive pour faire appliquer et contester les brevets en Europe, permettra, dans le même ordre d’idée, de diminuer drastiquement les coûts et le temps nécessaire pour engager une action en justice, et contribuera aussi à une harmonisation sur le plan européen du droit des brevets, améliorant  ainsi la sécurité juridique des inventeurs.

Que de bonnes nouvelles pour la compétitivité des entreprises au sein de l’Union Européenne !

Cependant, derrière ce projet ambitieux se cache une réalité plus complexe.

Comme indiqué plus haut, le gouvernement anglais a fait marche arrière concernant sa participation au système unifié, conséquence du Brexit et donc « contradictoire avec l’objectif de devenir une nation indépendante » selon le porte parole du Premier Ministre.

Ainsi, l’un des Etats dont la ratification est indispensable pour l’entrée en vigueur de l’Accord relatif à la JUB et donc à la concrétisation du brevet européen à effet unitaire, se retire du projet, se privant ainsi d’une opportunité et simplification majeure en Propriété Industrielle.

Il revient donc à l’Italie, 4ème du classement des Etats Membres déposant le plus de brevets, de ratifier l’Accord relatif à la JUB, pour espérer un jour concrétiser le brevet unitaire à effet européen.

Le gouvernement allemand, quant à lui, déclarait le 27 mars 2020 qu’il allait s’efforcer de refaire voter la loi de ratification sur la JUB prochainement.

Affaire à suivre…

Alice Valat, Université Jean Moulin Lyon 3

[1] Commissaire Barnier, Mémo Commission Européenne, 11 décembre 2012

[2] touteleurope.eu – synthèse du 20 mars 2014

[3] OEB, Quand le système du brevet unitaire commencera-t-il à fonctionner ?

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