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Reflexion juridique

L’art où l’on ne saurait le voir : l’originalité mise à rude épreuve

J’entre au musée des Beaux arts de Lyon… stupeur, son jardin est si beau. C’est non sans émotion que je me remémore les deux bronzes d’Auguste Rodin, presque un peu las de tous ces visiteurs. Ne vous y méprenez pas, Rodin fut bien inspiré par l’Enfer, un poème rédigé au XIVème siècle par Dante Alighieri pour réaliser sa célèbre statue baptisée « L’ombre ».

A dire vrai, chaque artiste part forcément d’une inspiration. Mais où se trouve l’originalité, précieux sésame nécessaire pour qu’une personne dispose du droit d’auteur ?

Partons d’un constat simple; le droit d’auteur existe si œuvre il y a.

Mais alors, qu’est-ce qu’une œuvre ? La première difficulté à laquelle tout juriste en propriété intellectuelle se confronte ; il n’y a aucune définition juridique de l’œuvre.

Le code de propriété intellectuelle parle d’œuvre de l’esprit et c’est non sans mal que je tente de deviner de quoi il s’agit.

Personnellement, je ne sais pas comment définir une œuvre. Pour moi, il y a œuvre quand il y a émotion, ce qui semblerait très (trop) subjectif. Je me souviens d’un séjour passé à Madrid où je me suis rendue au musée Reina Sofià; tout le monde se précipitait pour admirer la très célèbre œuvre de Pablo Picasso; Guernica.

Pour ma part, j’ai préféré m’intéresser à une œuvre bien plus subjective encore (selon moi): une toile blanche. J’ai disserté pendant une bonne trentaine de minutes en me demandant « Mais qu’est-ce que l’art, finalement ? ». J’ai eu ma réponse: cette toile n’était pas une œuvre d’art mais simplement un store tiré, on s’y méprend finalement quand on met un écriteau juste à coté d’un store… J’aurais bien fait rire la dame du musée, si ce n’est que ça. J’espère aussi vous avoir fait sourire par ma crédulité.

Je m’égare, mais il s’agit d’un exemple très parlant. Le problème de l’art est qu’il est forcément subjectif; cela fait appel aux sens. Le droit quant à lui, se doit d’être objectif.

Comment alors réussir à concilier art et droit, deux domaines que tout oppose ?

La réponse émane de la Jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne : est considérée comme originale « une création intellectuelle de l’auteur qui reflète sa personnalité, sans que d’autres critères tels que la valeur ou la destination ne soient pris en compte » (1). En somme, il faut se livrer selon la Jurisprudence à la recherche d’une « touche personnelle » ou de choix « libres et créatifs ».

Ça ne vous parle pas trop, n’est-ce pas ? Flaubert disait « Mme Bovary, c’est moi » ; on y comprend alors toute la portée de cette « touche personnelle » à laquelle fait référence la Cour de justice.

Mais un designer ne saurait dire aujourd’hui, à quelques expressions près, « Ce fauteuil, c’est moi ».

Vous l’aurez compris, le droit d’auteur se confronte lui aussi à une mouvance ; la société mercantile.

Le droit d’auteur ne s’applique pas simplement pour des œuvres littéraires ou picturales, non. Le droit d’auteur peut également s’appliquer pour un design par exemple, tant que la condition d’originalité est remplie.

Tentons alors de donner une définition négative de l’originalité pour y voir un peu plus clair.

D’une part, l’originalité n’est pas synonyme de nouveauté. La nouveauté est une notion objective que n’est pas l’originalité. Ainsi, peu importe la date d’apparition d’une œuvre, tant qu’elle n’est pas la reproduction servile de quelque chose d’existant (elle est quand même un peu nouvelle, donc, mais la date de création n’a ici aucune importance contrairement au droit des brevets par exemple).

D’autre part, l’originalité est une notion relative. En ce sens, la notion d’originalité est adaptée au genre de l’œuvre. S’agissant d’un fauteuil, sa destination utilitaire ne fait aucun doute; les potentialités de formes de fauteuils en sont bien réduites et les juges en ont conscience. Ce n’est pas forcément sur la forme que l’on jugera si il y a originalité ou non, mais plutôt sur l’ornementation par exemple.

De plus, une œuvre peut être absolument ou relativement originale.

Une œuvre est absolument originale lorsqu’elle ne ressemble à aucune œuvre préexistante. A contrario, une œuvre sera relativement originale lorsqu’elle va emprunter à une œuvre existante des éléments formels (une traduction ou adaptation par exemple).

La formule de l’originalité semble convaincante, mais beaucoup d’auteurs y voient une conception « édulcorée » de l’empreinte de la personnalité. En effet, il fut jugé avec une grande facilité qu’un guide de renseignements administratifs relevait du droit d’auteur (2), tout comme un numéro d’illusionniste (3).

Cela est non sans rappeler l’arrêt Paradis de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 13 Novembre 2008 où certains y ont vu une détournement flagrant du sens du mot « originalité ».

La Cour de cassation a en effet jugé que « l’approche conceptuelle de l’artiste, qui consiste à apposer un mot [ Paradis ] dans un lieu particulier en le détournant de son sens commun, s’est formellement exprimée dans une réalisation originale ».

C’est bien tout le problème des mots, il est parfois possible de leur faire dire tout… et leur contraire.

A l’inverse, pour faire écho à une jurisprudence récente, les articles de presse non empreints de la personnalité de leurs auteurs ne sont pas protégeables au titre du droit d’auteur (4).
En l’espèce, les articles publiés par la Voix du Nord ont été jugés comme un « énoncé bref d’évènements factuels » ; cela relevait d’un savoir faire et non de l’originalité.

Autant d’exemples qui montrent que la notion d’originalité donne du fil à retordre aux juges.
Cette notion est d’autant plus complexe lorsque que l’on sait que tant qu’il n’y a pas de remise en question du droit d’auteur, ce droit est présumé acquis.
En effet, le droit d’auteur ne nait d’aucune formalité; la simple création artistique suffit, qu’elle soit achevée ou non.

Ainsi, vous comprenez mieux l’exemple donné dans mon précédent article « Compression Evian- 1990 » réalisée par M César. (5)

Cette œuvre est ainsi présumée originale et bénéficie à ce titre du droit d’auteur, tant qu’aucun litige ne nait à ce sujet… Cette protection attire mais semble aussi tangente. Ce qui montre, j’ose le dire, la schizophrénie de cette matière; sa simplicité la rend finalement bien plus complexe.

Laurine Siri, Université Lumière Lyon 2

 

(1): CJUE 1er décembre 2011, arrêt Painer

(2) : 1ère Chambre civile, 2 décembre 1997

(3): Cour d’appel de Paris, 17 décembre 2003.

(4): Cour d’appel de Paris, 22 septembre 2020

(5) https://www.artcurial.com/fr/lot-cesar-1921-1998-compression-evian-1990-bouteilles-de-plastique-compressees-m1063-1119#popin-active ).

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